Janvier, quand les Pertuisiens mouchent la Belle Etoile "La bello Estello" - clap.jac.free.fr - Cérémonies de la Fête-Dieu. - Pertuisien.fr, la vie à Pertuis (84)


Janvier, quand les Pertuisiens mouchent la Belle Etoile



"La bello Estello" - clap.jac.free.fr - Cérémonies de la Fête-Dieu
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Dans le troisième tome d'un imposant ouvrage consacré au département des Bouches-du-Rhône (Marseille, 1826), le Comte de Villeneuve invite à franchir la Durance le temps d'évoquer deux traditions chères aux Pertuisiens : le pélerinage de la Sainte-Victoire et de la défilé de la Bello Estello...


Le département des Bouches-du-Rhône abonde en lieux renommés par l'affluence des fidèles qui, à certaines époques de l'année , vont y faire leurs dévotions. Nous avons fait connaître, dans les Statistiques Communales, ceux de ces lieux qui méritent quelque attention. Il ne nous reste plus qu'à parler d'un des pèlerinages les plus célèbres du département, celui de Sainte-Victoire, que nous n'avons fait qu'annoncer dans la Statistique de Vauvenargues.

Ce n'est pas des villages qui sont situés autour de la montagne que partent les pèlerins; c'est de Perluis, dans le département de Vaucluse, de l'autre côté de la Durance, à cinq grandes lieues de l'ermitage de Sainte-Victoire. Le 24 avril, au point du jour, les gros tambours parcourent la ville et annoncent le départ. On ne saurait se faire une idée de la joie qui s'empare de tous les esprits et de l'ardeur que montrent les habitants de Pertuis pour faire ce pieux voyage. Il n'est aucune raison qui puisse retenir les jeunes gens et les hommes dans la force de l'âge ; mais ce qui a lieu de surprendre c'est que les vieillards eux-mêmes prétendent ne pas pouvoir s'en dispenser. Les mères de famille sont obligées de veiller de près sur leurs petits enfants, et malgré leur surveillance, il y en a toujours quelques-uns qui se joignent à la caravane.

Tout le monde étant réuni, deux chefs connus sous le titre de Prieurs, et chargés de la police et de la surveillance du pèlerinage, se mettent à la tête de la troupe, et les tambours donnent le signal du départ. Après avoir passé le bac, la troupe se dirige en ligne droite, par des carraires ou sentiers destinés aux troupeaux. Elle s'arrête au pied de la montagne pour prendre un léger repas. Les prieurs font distribuer à chacun du pain, des fruits et différentes provisions apportées sur des ânes. Après ce repas, la caravane gravit la montagne , et le premier soin dont on s'occupe c'est de ramasser du bois sec et des racines pour faire un feu de joie. A l'entrée de la nuit, le feu est allumé sur la terrasse du couvent , point assez élevé pour que la flamme puisse être aperçue de Pertuis. Les habitants restés dans cette ville, rassemblés sur une esplanade en dehors des remparts, répondent au signal des pèlerins par un autre feu, et témoignent par toutes sortes de cris et de démonstrations qu'ils participent à l'œuvre entreprise.

Cependant les pèlerins, après le feu, n'ont d'autre parti à prendre que de coucher sur le roc, exposés à toutes les intempéries de l'air, sur une montagne élevée de cinq cents toises, où l'air est fort vif et même froid dans cette saison. Avant la destruction du couvent ils trouvaient quelque abri; mais aujourd'hui il y aurait du danger de se blottir dans ces ruines, et il faut se résoudre à passer la nuit à la belle étoile. Aussi tout le monde est sur pied avant le jour , et le curé de Vauvenargues célèbre la Messe à laquelle les pèlerins assistent avec beaucoup de dévotion. Chacun d'eux dépose son offrande , et la messe étant finie ils vont tous visiter le Garagaï (1), d'où Marius précipita cent prisonniers Teutons après sa victoire, s'il faut en croire la tradition. On retourne au couvent pour déjeûner, et chacun ayant eu soin d'attacher au chapeau et à la boutonnière des brins de verdure, la caravane retourne et rentre à Pertuis, tambour battant, en poussant des cris de joie. Le cortège fait le tour de la ville, et va à la paroisse rendre grâces à Dieu de l'heureuse issue du pèlerinage.

Une tradition constante et générale rattache cette coutume, vraiment remarquable, à la victoire remportée par Marius sur les Teutons et les Ambrons. On assure que la bataille se donna le 24 avril , et que le soir les Romains allumèrent un grand feu au sommet de la montagne , qu'ils désignèrent alors sous le nom de Mons Victoriœ. Le lendemain Marius gravit la montagne avec sa sibylle Galla, et fit précipiter, comme nous l'avons dit, cent prisonniers par une ouverture de la montagne, selon les instructions de cette sibylle. Ce précipice prit alors le nom de Galla- Caii d'où, par corruption, Garagaï. Marius prononça ensuite le vœu de lever un temple à la Victoire, et ce temple fut en effet bâti non au sommet de la montagne, mais à sa base, du côté de Vauvenargues, où l'on en voit encore quelques ruines à la ferme qui a conservé le nom de Délabre.

Nous ne garantissons pas toutes ces circonstances et plusieurs autres que nous passons sous silence; mais il nous paraît hors de doute que ce pèlerinage des habitans de Pertuis a réellement l'origine que la tradition lui donne. Il est évident qu'il n'y a ici aucun motif religieux; une coutume si ancienne, qui n'a été interrompue dans aucun temps, malgré les difficultés de la route, les fatigues et les privations de toute espèce, ne peut avoir son fondement que dans un événement mémorable, tel que cette fameuse victoire de Marius, qui délivra la Provence de cet essaim de Barbares qui avaient répandu la consternation dans tout l'empire Romain. Pertuis , qui était une colonie Marseillaise , et qui devait toute sa prospérité au commerce des grains destinés à l'approvisionnement de la ville d'Aix, dut ressentir plus vivement que toute autre ville le grand service rendu par la victoire des Romains. Le feu allumé par les vainqueurs sur la montagne dut être remarqué par les habitans de Pertuis, qui étaient dans une cruelle attente, et ils répondirent par un autre feu à ce signal d'allégresse. Cette circonstance paraît avoir contribué à perpétuer la tradition, et nous ne voyons pas de motifs pour la révoquer en doute.

Les Pertuisiens ne se sont pas bornés à conserver le souvenir de la victoire de Marius, ils ont aussi une fête annuelle qui a pour but de célébrer le triomphe de ce général. Cette fête , qu'ils désignent sous le nom de la Belle-Etoile, date d'aussi loin que le pèlerinage de Ste-Victoire. Anciennement elle était présidée par l'abbé de la jeunesse, qui marchait précédé de 24 jeunes gens vêtus à la romaine, portant à la main un bâton garni de franges de différentes couleurs. Trois rois, avec leurs pages, étaient à la suite de l'abbé de la jeunesse, et étaient suivis eux mêmes de plusieurs groupes exécutant différents jeux. En 1698, l'abbadie fut supprimée pour les mêmes motifs que le prince d'amour l'avait été à Aix quelques années auparavant.

Maintenant, voici ce qui reste de cette solennité : le 5 janvier, à l'entrée de la nuit, des gens armés, remplaçant les 24 font ranger la foule , comme autrefois les licteurs à Rome. Un char , traîné par sept mulets, que des hommes à pied conduisent par la bride, est chargé de bûches de pin résineux qu'on allume à l'instant du départ. Une grande clarté se répand dans toutes les rues où passe ce chariot de feu, au milieu duquel se place un homme, revêtu d'une natte de spart (2), dans l'attitude d'un triomphateur.

Quelque danger que présente ce rôle de triomphateur, il se présente un grand nombre de concurrents. Cette candidature donne même lieu à plus d'une rixe, et souvent, pour prévenir toute discussion, on prend le parti de mettre la place aux enchères. Cette circonstance, selon les Pertuisiens, fait allusion à la vénalité des charges dans les derniers temps de l'Empire.

A la suite du char marche le corps municipal, accompagné de la musique : il représente le sénat romain. Une multitude sans ordre et sans frein ferme le cortège. Elle fait entendre des sons discordans, elle chante des couplets satyriques, et la marche est souvent troublée par des rixes, d'autant plus dangereuses, que tout ce monde est armé de branches de pin allumées et de gros bâtons. L'usage le plus ordinaire qu'on fait de ces bâtons, c'est de frapper à coups redoublés sur le char; on appelle cela moucher la Belle-Etoile.

Après avoir roulé dans les principales rues de la ville, le char est dirigé en dehors des remparts. Là il s'arrête, et le triomphateur distribue à la multitude les restes du bois que la flamme n'a pas consumé, en signe, à ce qu'on dit, de la distribution des dépouilles des ennemis que Marius fit à ses soldats après avoir brûlé une partie du butin.

Cette cérémonie n'a, comme l'autre, aucun caractère religieux. Elle se faisait avant la conversion des habitants au Christianisme. Comme elle avait lieu le 5 janvier, veille du jour des Rois, on intercala dans la cérémonie les Mages, et on donna au char illuminé le nom de Belle Etoile. Mais il est évident que cette cérémonie est réellement une représentation du triomphe, altérée de plusieurs manières, mais conservant encore des signes caractéristiques qui ne permettent pas de s'y méprendre.

Quoique la ville de Pertuis ne soit pas de notre département, nous avons cru devoir rapporter ces usages, parce qu'ils se rattachent à un grand événement historique qui s'est passé au pied de la Montagne de Sainte-Victoire, par conséquent dans notre territoire.

(1) Dans le 1er volume de la Statistique , il a été parlé du Garagaï d'une manière qui a excité des réclamations de la part des habitants d'Aix. Ce que nous en avons dit a été tiré des documents fournis par la commune de Vauvenargues. Il parait qu'il y a deux abîmes qui portent le nom de Garagaï. L'un est celui dont nous avons parlé , qui est sur le penchant septentrional, et qui n'est guère connu que des bergers. L'autre est une large crevasse qui se voit à l'escarpement méridional, et qui est un peu a l'Est de l'ermitage : c'est ce dernier qui porte plus spécialement le nom de Garagaï et qui est visité par les pèlerins. Sous les rapports de l'Histoire Naturelle, le premier est plus remarquable, et c'est pourquoi nous l'avons décrit; le second n'est digne d'attention que sous le rapport historique , et nous réparons notre omission en le mentionnant ici.

(2) Cette natte, qui a la forme elliptique, est double. La partie supérieure est ouverte et forme deux grandes poches dont la partie inférieure est posée sur le dos d'une bête de somme. Cette espèce de panier pliant s'appelle cyssarri en provençal, et il sert à charier du fumier. Le triomphateur n'a d'autre motif pour revêtir ce singulier habit, que de se garantir du feu en ayant soin de mouiller la natte.



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Date de publication ou de dernière modification : le 21-01-2013 à 08h - Page consultée 1561 fois

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